PEUCHAPATTE - Trois immenses éoliennes ont été installées il y a six mois sur la commune du Peuchapatte (JU). Les habitants se plaignent du bruit. On est allé tendre loreille.
«Ça fait trois heures quon vous attend. Si vous aviez entendu comme elles sifflaient! Maintenant, cest dommage, cest trop tard.» Il est un peu plus de 18h30, on est pourtant presque à lheure, le vent souffle à 20km/h, mais Guy Froidevaux est contrarié: «On en a marre dêtre pris pour des rigolos. A chaque fois que quelquun vient de lextérieur, les machines se calment.» Au Peu-Péquignot, dans les Franches-Montagnes, la maison de Guy et Karine Froidevaux est à 580 mètres des éoliennes installées par Alpiq sur la crête au-dessus de chez eux lhiver dernier, sur la commune du Peuchapatte. Ce soir-là, sur la terrasse de leur maison, il faut tendre loreille pour entendre le vent dans les pales. Mais Guy et Karine décrivent une vie denfer: «Quand la bise souffle, on ne peut plus dormir la fenêtre ouverte.» Karine explique aussi avec les bras ce quelle appelle «leffet stroboscopique»: lombre des hélices qui tournent dans sa cuisine et qui la rendent nerveuse. Mais, ce soir-là, il fait très nuageux.
Allons donc là-haut, pour voir. Cest pourtant lheure de lapéro et Jean-Daniel Tschan, président de lassociation Librevent qui se bat pour la protection du paysage, nous avait ouvert un Gevrey-Chambertin et préparé une pile de documents avec de nouveaux arguments: non seulement les éoliennes projettent de dangereux glaçons lhiver à tel point quon a dû modifier les parcours de ski de fond, mais en plus elles interféreraient avec les ondes des radars de la météo et de laviation civile. Tant pis pour la paperasse, on veut les entendre. Au sommet, les éoliennes dAlpiq impressionnent davantage par leur taille: 150 mètres, les plus hautes de la région jurassienne. Au sommet des mâts, les pales tournent à bon rythme. On dirait le bruit dun avion à hélices qui vole à moyenne altitude. Ça fait «wouf
wouf
» à chaque tour. Et en continu, le ronflement du moteur. Mais pas besoin délever la voix pour poursuivre la conversation: «Cest Cointrin! Sauf que, là-bas, ça sarrête la nuit!» dit Guy Froidevaux. Ce nest pas en une soirée quon se rendra compte de la vie que les riverains mènent depuis six mois. «Cest à la longue que cest pénible. On ne shabitue jamais à ce bruit-là. Cest comme le supplice de la goutte deau, ça me torture», explique Karine. Selon certaines études, les éoliennes émettent des infrasons qui ont une portée beaucoup plus grande que les sons audibles, et qui peuvent être dangereux pour la santé. Mais les normes fédérales pour établir la distance minimale entre les éoliennes et les habitations (300 mètres en Suisse) nen tiennent pas compte.
Comme à lépoque de la place darmes
Aux Franches-Montagnes, lambiance est aussi tendue que lorsquon a tenté dy implanter une place darmes dans les années 50. Outre le bruit, les arguments sont les mêmes quà lépoque: préservation du paysage, résistance à lenvahisseur étranger. «Je naccepte pas quon dénature nos Franches-Montagnes et que ma maison soit dévaluée, moi qui ai tant lutté pour lindépendance du Jura», lance Guy Froidevaux en fin de soirée, autour dun plat de sanglier chassé la veille. «La différence davec la lutte contre la place darmes, cest quà lépoque les Francs-Montagnards étaient tous unis dans lopposition. Avec les éoliennes, on se déchire», remarque un autre convive.
Les maisons ont perdu de leur valeur
Dans le hameau du Peuchapatte (une trentaine dhabitants), les éoliennes ont en effet cassé lambiance. De retour dIndonésie il y a quatre ans et demi, une jeune veuve sest établie dans une maisonnette située aujourdhui à 340 mètres de la machine du milieu, cest-à-dire à peine au-delà de la distance minimale recommandée par la loi fédérale. Cette Franc-Montagnarde est revenue dans les pâturages pour retrouver le calme et ses copains denfance. «Je nai plus ni lun ni lautre», dit-elle. Elle était lune des cinq personnes à avoir fait opposition. «Je ne suis pas allée jusquau bout. Oui, jai accepté un peu de largent quon ma proposé pour retirer mon opposition. Cest tout ça quon ne me prendra pas. Aujourdhui, jessaie de mettre ma maison en vente à cause des nuisances, mais elle a perdu 30 à 40% de sa valeur et je ne trouve pas dacheteur.»
Jean Bilat est lun des quatre propriétaires à louer ses terres à Alpiq pour 7500 francs par année. Comme les trois autres, il siégeait au Conseil communal du Peuchapatte à lépoque de la transaction. Ce sont eux qui ont accepté le plan daménagement qui a permis linstallation des éoliennes, juste avant que la commune ne fusionne avec celle de Muriaux. Les quatre propriétaires terriens sont vus aujourdhui comme des traîtres. «Cest la guerre civile», reconnaît-il. Ce printemps, sa faucheuse a été endommagée en passant sur des tuyaux en caoutchouc qui avaient été répandus dans son champ. Une autre fois, il a retrouvé des centaines de bouteilles vides dans ses pâturages. «Ce que les opposants nont jamais compris, cest que nous navions pas le choix. Ces éoliennes nous ont été imposées par le plan directeur du canton du Jura. Notre seule liberté a été de choisir lexploitant. Le canton du Jura travaillait avec Juvent. Nous, nous avons conclu nos contrats avec Alpiq, qui nous offrait davantage.»
Les Franches-Montagnes «dans lil du cyclone»
Jean Bilat déplore que les autorités cantonales ne soient pas là, aujourdhui, pour assumer et faire accepter leur politique énergétique. Il dit quil ne regrette pas son affaire, «parce quon doit bien trouver des solutions pour remplacer le nucléaire, et que chacun doit en accepter les conséquences». Par contre, il avoue ne pas avoir prévu toutes les nuisances des éoliennes. «On sest fait avoir au niveau du bruit, et il va falloir le faire savoir.» Après tout, pourquoi ne pas sallier avec les opposants pour faire reculer cette zone tampon de 300 mètres qui ne semble pas du tout adaptée à des éoliennes aussi puissantes? Jean Bilat bougonne: «Cest pas demain la veille. Mais ce serait bien plus malin que de jouer à lhystérique dès quon voit clignoter deux lumières rouges la nuit sur les crêtes.» Pour lui, lépoque bénie où le paysage franc-montagnard était préservé est terminée: «Maintenant, quon le veuille ou non, on est dans lil du cyclone.»