02.10.2013 - Tribune de Genève

«Nous ne voulons plus de projets pharaoniques»

GENEVE - SIG / ENNOVA - Le président des Services Industriels de Genève, Alain Peyrot, explique les divergences qui lont opposé à lex-directeur général dans le dossier éolien. Il veut revoir la gouvernance de la régie.
Les Services Industriels de Genève sont en pleine réorganisation. Suite à la démission du directeur général, André Hurter, mis en cause par des audits sur les projets éoliens des SIG, et à louverture denquêtes administratives contre deux cadres, le président du conseil dadministration, Alain Peyrot, explique les divergences ayant mené à cette situation. Pour lui, les rapports entre la direction générale et le conseil dadministration doivent être repensés. Interview.
Alain Peyrot, le directeur général des SIG, André Hurter, a-t-il été poussé à la démission?
Pas du tout, mais il a essuyé un désaveu important quand le conseil dadministration a remis en cause ses propositions de révision du contrat nous liant à Ennova, la société en charge des projets de parcs éoliens sur les crêtes du Jura. Nous étions choqués et en colère quant aux informations reçues à propos de ces projets. Nous avons donc demandé deux audits externes pour mieux comprendre lusage qui avait été fait des fonds investis et vérifier la qualité technique des projets. Ces audits sévères, reçus au début de septembre, ont mis en évidence des éléments quAndré Hurter navait pas vus et qui étaient sous sa responsabilité. A partir de là, il a pris ses responsabilités et a choisi de démissionner.
André Hurter était-il le problème?
Non. En revanche, il est responsable de ce problème. Il sest engagé personnellement dans ce quil pensait être une amélioration du contrat en cours de révision dans le domaine éolien.
Et il ne la pas amélioré?
Non. La société Ennova, dont nous sommes à la fois partenaires, actionnaires et créanciers, est confrontée à un problème de liquidités. Les premiers projets éoliens étaient censés aboutir en 2013-2014, mais ce sera au mieux à la fin de 2016. La solution de refinancement proposée a été jugée inacceptable par le conseil dadministration. Nous attendions larrivée de nouveaux investisseurs, or, un seul sest manifesté positivement, ce qui ne rembourserait quun quart du prêt de 33 millions que nous avons fait. De plus, la part dactionnariat des SIG devait augmenter denviron 10 millions de francs. Cela accroissait encore les risques pour nous, puisque les garanties liées à la créance disparaissaient. Enfin, les SIG devaient prendre à leur charge la majorité des frais dexploitation dEnnova. Cela commençait à faire beaucoup.
Dans «LeMatin Dimanche», le président dEnnova, Claudio Zanini, suspecte les SIG de vouloir prendre le contrôle de sa société. Est-ce vrai?
Ce nest pas notre but. Mais les règles contractuelles prévoient en cas de non-remboursement laugmentation de la part des SIG dans lactionnariat dEnnova.
Jusquà lan dernier, vous présidiez le comité daudit et des risques. Vous étiez donc bien placé pour suivre de près ces investissements. Pourquoi navoir pas réagi plus tôt?
Le comité soccupait de ce qui lui était remonté soit par la direction générale, soit par laudit interne. Les premiers projets éoliens sont arrivés sur notre bureau en 2011. Ils ont été pilotés en vase clos par trois directeurs qui ont ignoré les nombreux signaux dalerte. Cela, je nen ai eu connaissance quen 2013.
Y a-t-il eu des malversations?
Certains administrateurs pensent quon ne peut pas lexclure, mais il ny a aucun signe de malversations. En revanche, il y a eu des négligences dans la surveillance du partenariat avec Ennova.
Selon nos informations, laudit financier fait état de surfacturation. Le confirmez-vous?
Ce nest pas le bon terme. Il est possible par exemple que des prestations facturées à Ennova étaient en fait destinées à RenInvest, autre société active dans les énergies renouvelables dirigée par le président dEnnova, Claudio Zanini. Nous attendons des précisions dEnnova sur un certain nombre de points identifiés.
Manquez-vous de patience dans le développement de léolien, où les projets prennent toujours des années?
Au-delà des oppositions de la population et de la lenteur des démarches administratives, la faisabilité de nos projets éoliens semble moins bonne que prévu selon les experts que nous avons mandatés. Soit les mâts des éoliennes ne seraient pas assez hauts, soit ils ne seraient pas assez nombreux vu la complexité du terrain. Cest pour lheure une bagarre dexperts. Mais il est juste de dire que nous sommes au milieu du gué.
Vous croyez vraiment à léolien?
Oui, mais dune manière mesurée. A mon avis, les dirigeants dEnnova sont trop optimistes quand ils prétendent pouvoir installer à eux seuls 840 mégawatts (MW) de puissance éolienne, ce qui est le quart du potentiel évalué par lassociation Suisse Eole pour tout le pays dici à 2035.
Les SIG ne vont donc pas abandonner lénergie éolienne?
Non. En revanche, nous allons redimensionner nos objectifs. Cétait devenu pharaonique. Sur ce point, André Hurter et moi étions fondamentalement opposés. Lui avait une vision très flamboyante des SIG. Le conseil dadministration et moi avons une vision plus pragmatique: nous cherchons à savoir si nos projets répondent à la mission de base des SIG, qui est dassurer lapprovisionnement énergétique du canton de Genève.
«Je veux un conseil dadministration plus fort»
La compétence, lengagement et la vision dAndré Hurter ont été salués par beaucoup de monde. Son départ est-il une perte pour les SIG?
Il faut voir au-delà de lhomme. Je nai rien contre André Hurter mais contre le mode de gouvernance aux SIG. Nous arrivons à la fin dune époque et au début dune autre. Il y a trop longtemps eu une direction générale forte et un conseil dadministration qui narrivait quen fin de processus et ne pouvait quentériner les décisions prises. Quand je me suis porté candidat à la présidence du conseil dadministration, jai demblée dit que je voulais renforcer le rôle de ce dernier et lui permettre dagir plus en amont. Cette affaire est lexemple type de ce que je voulais corriger.
Aura-t-on à lavenir une direction potiche et un conseil dadministration tout-puissant?
Le conseil dadministration ne doit pas gérer lopérationnel, cest évident, mais il doit pouvoir le contrôler. Sil arrive en fin de processus, les jeux sont déjà faits. Par exemple, avec le projet de centrale chaleur-force à gaz au Lignon, gelé par le Conseil dEtat, le conseil dadministration na pas eu son mot à dire. Mais sil participe le plus en amont possible, il peut faire du bon travail et se montrer plus critique.
Est-ce là lorigine des tensions dans le dossier éolien?
Non, mais il faut rééquilibrer les rapports. Il ne sagit pas davoir un président-directeur-général comme par le passé, mais de comprendre où les SIG vont. Cest mon rôle. Entre le président du conseil dadministration et la direction générale, il y a forcément un état de tension. Cest une alchimie qui doit prendre.
Avez-vous déjà quelquun en vue pour remplacer André Hurter?
Non. Le processus de recrutement va prendre au minimum six mois. Nous cherchons à linterne et à lexterne. Nous souhaitons quelquun qui connaisse bien le tissu local.
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