JURA VAUDOIS - Les opposants au projet éolien de Sur Grati avancent un argument original: comment construire un parc près d'un site classé?
Après les chauves-souris, les grands tétras, les infrasons, les paysages et les marais dimportance nationale, les radars militaires ou civils, voici un nouvel écueil de taille pour les éoliennes vaudoises: le patrimoine bâti. Les opposants au projet éolien de Sur Grati six éoliennes de 149 m de haut (au moyeu), réparties sur la crête qui domine Vaulion, Vallorbe et Premier ont déposé lundi passé un recours sur la levée de leurs oppositions par les Conseils.
Leur but? Parvenir à charger suffisamment la balance et influencer la pesée des intérêts du projet, sur laquelle les juges du Tribunal cantonal devront se prononcer. Leur argument? Ces éoliennes retenues par la planification cantonale donnent visuellement sur des sites protégés par lISOS, soit lInventaire fédéral des sites construits dimportance nationale à protéger en Suisse. A savoir le pittoresque village rural de Vaulion et le bourg médiéval de Romainmôtier. Ils sont inscrits en classe A.
«Ces sites ont été retenus pour la qualité de leur topographie, pour la relation entre le patrimoine bâti et leur espace», défend Pierre Chiffelle. Lancien conseiller dEtat est lavocat dHelvetia Nostra, de Paysage-Libre Vaud et de la Fondation suisse pour la protection du paysage. Il poursuit: «Ces éoliennes altèrent la vue et le panorama dun tout grand fleuron de lart médiéval en Suisse. Il va falloir nous démontrer quil y a un intérêt public prépondérant.»
A examiner de plus près les considérations fédérales, lavocat pourrait bien avoir mis le doigt sur un argument sensible. «Les périmètres ISOS doivent en principe être considérés comme des zones dexclusion, dans la mesure où les sites dimportance nationale méritent spécialement dêtre conservés intacts, explique pour le cadre général Marcia Haldemann, responsable de lISOS à lOffice fédéral de la culture. Cela vaut également pour leur environnement. Les installations éoliennes peuvent mettre en danger les qualités topographiques dun site en modifiant si fortement son aspect extérieur que son intégrité structurelle et visuelle sen trouve gravement endommagée. Mais il faut toujours considérer les sites individuellement.»
Riche patrimoine concerné
Ces sites, dont les Cantons doivent tenir compte, sont plus de 1270 en Suisse. Et si les promoteurs ne se disent pas inquiets, nos vieilles églises et bucoliques bourgs ruraux nen constituent pas moins un souffle avec lequel les éoliennes vont devoir composer leur défense. Sur le canton, les exemples ne manquent pas: Romainmôtier donne sur le site de Sur Grati, Vaulion sur les 12 éoliennes du Mollendruz, Essertines-sur-Yverdon est en contrebas du projet de Tous-Vents
Sy ajoutent les voies historiques (IVS), voire les bâtiments classés individuellement. Ainsi léolienne des Saugealles, du projet EolJorat Sud, domine labbaye cistercienne de Montheron, qui est recensée comme un monument dimportance nationale. Bref, au moins quatre projets majeurs seront inévitablement confrontés à leur impact sur le patrimoine bâti durant leurs procédures à venir.
Avant eux, le parc éolien de Sainte-Croix en avait déjà fait les frais en mars 2015. Les opposants avaient pointé du doigt limpact visuel des hélices sur plusieurs sites classés, dont les bourgs de Sainte-Croix et de LAuberson. Et cest justement sur la réponse du Tribunal cantonal, qui fait depuis jurisprudence, que sappuie Pierre Chiffelle. Si les opposants de Sainte-Croix ont été déboutés sur ce point notamment en raison de limpact tout relatif des éoliennes sur le paysage industriel local , les juges avaient ouvert une porte et conclu que la modification dune perspective depuis un site classé devait effectivement être prise en compte dans la balance. Ce nest pas tombé dans loreille dun sourd.
Les juges risquent-ils dentrer en matière et de remettre en question plusieurs éoliennes? Difficile à dire. «Dun point de vue lausannois, nous avons jugé que la compatibilité paysagère était possible, défend Jean-Yves Pidoux, municipal (Les Verts) des Energies. Le plan dEolJorat Sud et la pesée des intérêts ont été validés par le Conseil dEtat. Nous sommes sensibles à la question, et on a essayé de déplacer léolienne visible depuis Montheron, mais il se trouve que cest une de celles qui produisent le plus délectricité.» Il poursuit. «La dimension paysagère est importante. Mais noublions pas quà Montheron il y a aussi un parking sur lequel on gare sa voiture.»
Directives
Du côté du Canton, limpact des éoliennes sur le paysage bâti a déjà été pris en compte, assure la Direction générale de lenvironnement. Les sites sélectionnés pour atteindre les 25% dénergie renouvelable sur le territoire vaudois ont dabord passé un premier examen, avant dêtre transmis lors de leur mise à lenquête aux Monuments et Sites. Et, pour ce faire, les spécialistes procèdent de deux manières. A savoir commencer par «évaluer cette valeur de signe, dunicité dans un environnement étendu», et surtout par juger la confrontation hiérarchique entre les objets.
Pour faire simple, les éoliennes doivent être moins perceptibles que le vénérable monument ou le sympathique village. Ajoutons quune kyrielle de critères sont en outre à prendre en considération: distances, perspectives sur le site dont la protection dépend de sous-découpages (ensemble construit, périmètre environnant, échappées
).
Dans le canton de Neuchâtel, des distances minimales à respecter avec les éoliennes ont été ajoutées. Lobjectif étant de laisser une marge de manuvre.
Sur le terrain, léquation est évidemment tout autre. «Il est évident que ces éoliennes entraînent des tensions dans le Nozon», lâche le syndic de Romainmôtier, Fabrice de Icco. Il est membre des Verts, et précise être favorable à léolien. «Plus que le périmètre, cest la question de la confrontation entre les éoliennes et un cadre historique préservé quil faut se poser. Et également celle de ce que vaut lISOS. Sil nest pas accompagné de mesures et de moyens de préservation, cest une coquille vide.»
Pour lui, les inventaires de préservation du patrimoine doivent désormais passer par une valorisation touristique. Sans quoi les communes concernées se tourneront inévitablement vers des projets déconomies alternatives. Pour rappel, Sur Grati est notamment porté par les villages de Vaulion et de Premier pour des avantages directs. Entre les mesures de compensation, les exonérations et les services promis par le promoteur éolien régional, les finances de ces petites communes doivent gagner léquivalent de «centaines de milliers de francs». Les amoureux des vieilles pierres nont quà bien se tenir.