COÛTS - Réaction. A propos de notre article sur linstallation du col du Nufenen: «Le tout premier parc éolien du Valais règne sur lEurope».
Jean-Edgar Rodondi - * Economiste, Epalinges
LAgefi du 3 octobre dernier: «Le tout premier parc éolien du Valais règne sur lEurope». Sous-titre: «Linstallation du col du Nufenen est la plus haute du continent et peut fournir lélectricité à près de 3000 ménages». Le lecteur peu informé sur les questions dénergie éolienne ne peut quapplaudir à cette performance technologique. Saluée sur place dailleurs par la conseillère fédérale Doris Leuthard et des politiciens de renom, parmi lesquels Isabelle Chevalley et Roger Nordmann, conseillers nationaux (la première présidente de Suisse Eole, le second président de Swissolar, deux groupes de pression).
Votre article reprend les informations communiquées par Gries Wind SA, société qui gère le projet. Aucune information économique et financière (par exemple: production effective de la première éolienne entre 2011 et 2016, subventions reçues, résultat financier, etc.) digne de ce nom ne figure jamais dans les communiqués de presse des promoteurs de ce type de projet, en particulier sur celui du col du Nufenen. Comment expliquer cette lacune?
Le premier projet de Gries (site situé à 2500 m daltitude) a été mis en service en 2011. Parmi les investisseurs figuraient en bonne place les Services industriels de Genève et les Forces motrices valaisannes. Lobjectif indiqué était une production de 2,2 GWh environ. Cet objectif na jamais été atteint, essentiellement pour deux causes que lon retrouve dans presque toutes les installations déoliennes (sauf celles du Valais central) actuellement en service ou en projet.
Les données de production sont fournies par le constructeur des éoliennes (le plus souvent un groupe allemand), le coût de linvestissement ne comprenant dailleurs généralement pas les coûts annexes; pour le site de Gries: laménagement routier, par exemple. Ce coût de fabrication, de transport et de montage représente environ le 85% de linvestissement global, donc sans tous les coûts annexes. On doit aussi savoir que la création du socle en béton sur lequel repose une éolienne, ainsi que le montage de léolienne elle-même sont effectués par les ouvriers de la fabrique. On peut déjà affirmer quil ny a aucune retombée économique significative, à ce niveau, pour la Suisse, le Valais et léconomie locale.
Le deuxième facteur à prendre en considération est le problème du vent: les données sont généralement fournies par lOffice fédéral de lénergie. Il vient dailleurs de publier une nouvelle carte des vents pour la Suisse qui a incité de nombreux promoteurs déoliennes à se réjouir de voir des régions entières considérées désormais comme propices à linstallation de leurs machines. La réalité est loin dêtre aussi positive. Tout dabord, lOffice fédéral de lénergie sappuie sur ses propres mesures, mais également sur celles des producteurs dénergie éolienne car un promoteur a naturellement lenvie de donner à ses produits les meilleures chances dêtre pris en considération. Dautre part, les mesures fédérales ne concernent que des hauteurs jusquà 150 m daltitude au-dessus du sol. Plus haut ce sont des extrapolations!
Un troisième facteur joue un rôle important, en particulier dans le cas du site de Gries: laltitude. Notre ministre de lénergie et les autorités cantonales valaisannes sont fières de relever que ce site est le plus haut dEurope. Est-ce vraiment un atout quand on sait que la densité du vent diminue dun facteur de 10 % par 1000 m daltitude environ (et donc la performance dune éolienne), soit de 25% pour Gries! Dans une étude sérieuse sur la «productivité des éoliennes» établies par M. J. Bernard Jeanneret du Club Energie 2051, le 25 septembre 2015, et qui porte sur les parcs éoliens suisses en activité et en projets, il indique un taux de productivité de 9 % pour la première éolienne de Gries (en service en 2011), pour un taux budgeté de 20 %! Les taux globaux sur le plan national les plus élevés se rencontrent en Grande Bretagne (26 %, avec 20% déoliennes en mer), suivie par la France (23%) et lAllemagne (19%). Le simple bon sens permet de penser que le nouveau parc de Gries, avec une productivité budgetée de 22%, est un prochain gouffre financier programmé.
Car, il faut se souvenir, que la première éolienne de Gries a été un échec financier total, en tout cas pour les Services industriels de Genève qui ont perdu plus de 15 millions de francs pour un investissement total de 19 millions (voir les rapports annuels des SIG des comptes 2012 à 2014), et pour les Forces motrices valaisannes, qui se gardent bien de mentionner séparément dans les amortissements et les provisions, les charges de Gries durant les années de production de 2011 à 2015. Il convient dans ce cas de se référer au document «Canton du Valais: Stratégie du propriétaire de FMV, attentes et prescriptions relatives aux activités de FMV» du 7 novembre 2012 qui permet aux FMV dinvestir dans des projets de nouvelles énergies renouvelables: «...pour des projets qui présentent des opportunités attrayantes mais qui dépassent les ressources financières de FMV ou montrent une rentabilité incertaine.»
Finalement, tout cela naurait quun intérêt très limité sil ne sagissait pas, en définitive, de largent des consommateurs délectricité auxquels on prélève sur chaque kwh consommé une redevance pour financer la «rétribution à prix coûtant (RPC) de la Confédération». Dans le cadre de Gries, selon une information diffusée dans un quotidien vaudois, cette rétribution serait de 21,5 centimes par kwh produit! Ceci démontre bien que ce projet nest économiquement pas viable, même à long terme, et même si le prix de lélectricité (actuellement 4 centimes environ) devait prendre lascenseur. Or, financer par des subventions des installations dont on sait davance quelles ne seront jamais rentables avec largent des citoyens est scandaleux. Dautres énergies renouvelables, même si leur prix de revient est encore élevé, mériteraient ces subventions, par exemple, le photovoltaïque, dont le prix de revient est de 12 centimes actuellement, avec une tendance à la baisse pour le futur.
Ces considérations économiques et financières étaient absentes de votre article. Cest dommage! Dautant plus que ce cas nest pas unique, mais bien symbolique dune politique qui se joue des facteurs économiques et financiers et conduit des institutions publiques à des pertes potentiellement très importantes... que le citoyen devra payer souvent une deuxième fois! Les seuls gagnants sont les producteurs déoliennes et les sociétés dexploitation qui peuvent se reposer sans souci sur les subventions étatiques. La lecture régulière de lAgefi me fait penser que ces questions font aussi partie des informations que votre journal se devrait dexaminer et de communiquer.
A noter encore que dans le Rapport-préavis No 2015/06 du 15 janvier 2015 de la Commune de Lausanne sur le projet EolJorat Sud, on cherche vainement dans les 138 pages du document un budget détaillé!... Il sagit pourtant dun investissement de plus de 100 millions de francs (sans les frais annexes) supportés par des entreprises ad-hoc, mais propriété directement et/ou indirectement des SI de Lausanne!